Comme à la Dérive
Reflets d’argent bleuté
la nonchalance d’une nuit d’été
la suprême conscience d’une nuit de glace
l’eau guide votre dérive
avec la bonté coutumière aux perdants
sous l’œil narquois de Sélène
la compagne des nostalgies nocturnes
Le dôme étoilé d’un palais naturel
habité par la magie harmonieuse
de l’espoir tranquille
Le vent retient son souffle
pour ne plus tourner les pages du temps
et l’eau chemine sereine
faisant sienne votre insouciance
Comme à la dérive…
Pierre Jeanmaire-Monteil
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réservés
2078
2078 quatorzième catastrophe nucléo-apocalyptique
Triangles inanimés de verre rayé
caniveaux criards et colorés
délire génétique fœtus cérébral
asphalte urbain luisant de plasma
2078 quatorzième catastrophe nucléo-apocalyptique
Poupée exsangue crucifiée au pilori de la déraison
autoroutes atomiquement déchiquetées
traînées de douleur collective
2078 quatorzième catastrophe nucléo-apocalyptique
Dans la cité moribonde
éclatent les rires fous
des quelques survivants
les yeux d’un enfant remercient
la folie des gouvernants
les yeux d’un enfant remercient
la folie des gouvernants
Pierre Jeanmaire-Monteil
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Copie Conforme
Nuit et Lune sont deux très vieilles sœurs
voisines du temps, complices de l’espace
Nuit est habitée de créatures de jour égarées
Lune les accable de son regard blafard
présage d’une aube visitée par le remords
par le remords
Toi qui vas seul en leur compagnie
maintenant que les acteurs sont sortis
« Par le côté cour ! » a ordonné
la jeune et troublante Reine du Crépuscule
tu n’attends rien de bon de ce moment
de ce moment où ton âme se reconnaît
et se retrouve enfin dans ton corps
de sang de chair et d’os
où la folie préside au moindre de tes gestes
au moindre de tes gestes
Pour te faire amèrement regretter d’avoir osé goûter
à l’élixir de vérité paradoxale
pourtant on t’a mis en garde
mais qui peut empêcher un homme
de chercher son reflet derrière le masque
Tu débouches par hasard dans la vie
alors tu t’installes tu fais semblant
et un beau matin
tu découvres que le masque a du jeu
qu’il se décolle de plus en plus
de plus en plus
par un joli soir mauvais hésitant
tu découvres extasié ton visage profond
exactement semblable au masque
pour prix de ta curiosité
tu passeras le reste de ta vie à t’arracher
lentement lamentablement
la peau du visage
Nuit et Lune sont deux très vieilles sœurs
voisines du temps complices de l’espace
Pierre Jeanmaire-Monteil
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Prélude
La nuit descend sur mes yeux
comme un voile de soie câline
ma dernière maîtresse est mutine
elle se rit de mes anciens jeux
La mort et un puits sans fond
elle calme mes remords
et moque mes ultimes efforts
de ses rictus de guenon
Silence sur les derniers désirs
qui poussent encore à espérer
encore oser croire au plaisir
Mais ne plus jamais rêver
se diluer dans le néant
danser avec la mort en riant
Pierre Jeanmaire-Monteil
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Le Fil du rasoir
La peur saisit tes yeux comme un iceberg métallique
les lumières urbaines auréolent ton visage
de coloris étranges et frileux
Une dernière fois tu souris
sarcastique
ton sang caresse le carrelage
Le rasoir te regarde et toi tu regardes le rasoir
prends garde : il est l’ami du désespoir
La lame a entaillé tes veines d’une manière fort élégante
ta lucidité s’accroche avec peine à tes souvenirs heureux d’amante
Le rasoir te regarde et toi tu regardes le rasoir
prends garde : il est l’ami du désespoir
L’ambulance qui t’emmène a l’air bien irréelle
la mort suce tes veines comme tu la vois belle
regarde ta peau si pâle et ton corps souple animal
…animal…
Tu savais que ça finirait là
tu as toujours porté ta mort
comme d’autres portent un enfant
tes pauvres sanglots sont bien las
moi je n’aurai plus que le remords
pour continuer à être le perdant
et tu répètes : « j’en ai plus rien à faire… »
et tu répètes : « j’en ai plus rien à faire… »
Pierre Jeanmaire-Monteil
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Le royaume de Thulé
Palais de nacre et d’ivoire de la ville supérieure
douces fontaines serties au creux des jardins
sept prismes colorés saluent le soleil
gongs et cors rythment les marches d’apparat
tandis qu’à l’ombre des demeures se déroulent
jeux subtils et galants parmi les senteurs orientales
mais les racines du mal sont profondes
cultes impies ont envahi les vieux temples
de longs cris atroces retentissent sous les voûtes séculaires
cultes païens surgis du fond des âges
libations furieuses et folie collective
présagent du proche déclin du royaume de Thulé
un grondement sourd envahit les hautes ruelles suspendues
la folie et l’angoisse s’agrippent à l’âme de chacun
de l’esclave au prêtre supérieur
l’antique cité vacille sur ses bases
pour la première fois Thulé tremble
partout la peur allume d’immenses brasiers
puis les eaux déferlent
et l’océan lave la face du monde de la tache immonde
et l’océan lave la face du monde de la tache immonde
Pierre Jeanmaire-Monteil
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Façon Zimmerman *
... Robert Tarantula traverse la boulangerie au galop
- Ypahoo ! -
ses paquets de tabac frelaté à la main
& Johnny-John est sous la tonnelle de Tante Auntie
& ferraille avec l’arithmétique
reniflant partout l’entourloupe
& la ligne de démarcation est bien nette sur Main Street
d’un côté les sectateurs du : "Oui M’sieur "
& leur galurin comme un futal
toujours à hurler : " Occupé ! " quand tu
veux discuter
& : "Oh, juste bavarder, M’sieur "
& de l’autre côté y a les adorateurs du :
" Va donc t’faire foutre ! "
& t’entends en stéréo :
"Oh, gamin, dégages donc du milieu d’la rue ! "
& vla l’Oncle Henri un Français à c’qui paraît
& y planque ses tonneaux d’limonade
parmi la mécanique d’son piano éventré
& merdalors ! Vla qu’t’arrives plus à en décrocher une
t’arrives plus à causer soudain
& la frangine de Johnny-John
ouais p’tit, celle qu’aime le séminariste
passe en draisienne au loin & rigole
ahahah !
& personne n’en a rien à foutre d’toute façon
alors t’enlèves doucement ta crinoline
& tu t’mets à pleurer
en douce et sans bruit
" Ouais, à quoi bon tout ce ch’min pour tourner en rond,
gamin ? "
y a pas mieux qu’la ville pour savoir qu’les hommes
peuvent pas vivre ensemble
à part Tante Auntie &l’ Oncle Henri
qui sont des tricheurs de première
& même…
(* alias Bob Dylan)
Pierre Jeanmaire-Monteil
A propos de Façon Zimmerman, &…
« Ce texte
avance à coups d’esperluette (&). Sa forme est très redevable à mon
écoute répétée de "Highway 61 Revisited ", "Blonde on
Blonde", "Planet Waves" et "Blood on the
Tracks". C’est un train que l’on prend en marche et dont l’on saute
avant l’arrivée en gare. Inspirée par mon admiration pour le Dylan
parolier/poète, l’écriture de Façon Zimmerman a été déclenchée par ma
persévérance à lire son (pourtant mauvais) roman "Tarantula ".
L’esperluette, utilisée comme ressort poétique et locomotive narrative, en sort
tout droit. Pas impossible que, sous ce langage codé, se télescopent plusieurs
épisodes biographiques, retenant en cela la leçon de Zimmerman. Mais ceci est
une autre histoire… »
Pierre Jeanmaire-Monteil
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La Part du Feu
J’ouvre la porte chaque matin
et je monte dans mon auto
mon autodafé
milliards de-ci
milliards de-là
milliards de cigarettes
- " Arrête ! "
Petites cargaisons de cendre
où brûle la raison de la déraison
à regarder l’horizon limité
de ma consumation
Je partirai en auto
en autodafé
trouverai tout à fait la force
d’atteindre Phoenix, Arizona
par la route de Santa Fe
d’y faire la part du feu
d’y renaître
Apaisé d’y attiser
le brasier de ma vie
d’y faire enfin
la part du feu
- " L’auréole de la culpabilité te poisse les doigts
tu fus de
mèche avec la fange"
me souffle l’ange de la commodité
de son infecte haleine
frelatée
Pierre Jeanmaire-Monteil
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La Java Niaise
Enfant d’la mouise et de l’absinthe
Gamin des rues au cœur fragile
Enfant d’la Louise qu’est pas une
sainte
Cœur volage bien trop facile
El’vé dans un bouge sordide
Bib’ron rempli de bonne bibine
Fantôme noc’turne des Invalides
Pauvre mioch’ dans la débine
Refrain
Julot des Batignolles
Julot le Ravachol
Julot la camisole
C’est le roi de la java
Pauvre mongolien d’l’amour
Aux doigts de fée il fait risett’
Mais sans façons il guinch’
toujours
Parmi les macs et les tapett’
Mais quand il mate les frangines
Sous l’œil sévère des poulagas
Brisant le cœur d’sa Proserpine
Moi j’peux vous dire qu’y a du
dégât
Refrain
De cette véridique comptine
Histoire tragique s’il en fut
Voici la chute un peu coquine
Qui laiss’ le bourgeois sur son cul
Ayant bu plus que de coutume
Il dansa la dernière java
Jusqu’à
c’que ses godasses fument
Et que Paname s’enflamma (2 derniers vers : ter)
Pierre Jeanmaire-Monteil
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